La nature des hommes

mardi 31 mars 2009

Et maintenant je suis ici.

Et maintenant je suis ici, où tout le monde est. Les Chinois parlent chinois. Les Algériens parlent en arabe. Les Africains parlent fort. Les mendiants parlent rom. Les portugais parlent portugais. Les gens parlent aux terrasses des cafés. Je regarde parler les gens. Les Parisiens ont des voix aériennes, posées sur un souffle. Ils portent des tennis de couleur, leur sac ou leur bébé en bandoulière. Je ne me souvenais pas que les garçons nouaient leurs cheveux longs en chignon, que les filles laissaient leur frange troubler leur regard, que tous traversaient les rues comme des figures de mode avec un air de Bardot au bord des lèvres : "Et mes fesses ? Tu les aimes ?". J’entends parler les gens. Je ne suis plus chez moi, ici.

A Stalingrad, ligne 2, les souvenirs d’un qui m’a chagrinée ne me font plus trembler. L’espace éloigné a resserré les pores et dissous les absents. Je ne suis plus chez moi, ici. Sur la place des Abbesses, les lumières ont changé. Les immeubles, autrefois dans l’ombre, s’affichent à la grande nuit. De nouvelles enseignes remplacent mes adresses habituelles. Où est passée la fontaine ? Et le libraire en chaise roulante ? Je raconte l’avant. Ceux d’aujourd’hui écoutent d’une tendresse polie.
Les inconnus se croisent sans se dire bonjour. J’ai laissé mon esprit marcher dans les rues connues. Je n’y ai rencontré que des inconnus et une silhouette vaguement sue. Ses contours se sont dessinés à mesure de ses mots. Je l’ai reconnue. Puis je l’ai revue quelques années en arrière accompagnée d’un homme aux cheveux roux. Le matin, elle promenait son chien et son homme aux cheveux roux. Toujours le même parcours, main dans la main, main sur la laisse. "Et ton amoureux aux cheveux si roux ?" Son regard fugue. Elle se baisse, elle prend son chien dans ses bras. "Il nous a quittés. Tu sais, il était malade…" Je ne savais pas. Je ne savais plus. Je ne suis plus chez moi, ici.
Les bords du Canal sont maintenant champêtres. Pétanque, bateaux arrimés, baisers sur un banc, saucisson en rondelles, terrasses improvisées au bord de l'eau sale mais qui brille. "Diiiing ! Diiiing ! ‘tention, ‘zêtes sur la piste cyclab’ !" Je sursaute, je me retourne, je recule. Je ne suis plus chez moi, ici. Je regarde chaque nom de rue. Je détaille chaque arbre, chaque statue, tous les visages. Les façades du XIXème élèvent haut leurs pierres et leurs lucarnes. Derrière les portes, je devine l’odeur cirée des escaliers en bois. Les rues se tordent, s’ingénuent à me perdre. De larges avenues les rattrapent. Je ne sais plus si c’est à gauche, si c’est à droite. Je demande ma route. Je ne suis plus chez moi, ici.

Midi sonne à l’église Saint-Vincent. Ailleurs, mon soleil se lève, couvre l’océan d’une humeur argentée. Mes mornes s’étirent dans un infini de verts. Les bruits créoles de ma nuit lointaine s’estompent ; il est 6h à ma montre intérieure et mon corps se réveille pour la seconde fois. Je compte le temps qu’il me reste. Encore une semaine. Ici est devenu éphémère, périssable. J’en prendrai quelques bouts pour rapporter à la maison. Des photos, des nouvelles de certains, un ticket de vélib entre les pages d’un roman, quatre chiffres d’un digicode vitement écrits sur mon chéquier. Avec la certitude étonnée que chez moi n’est plus ici, je retournerai là-bas, les valises lourdes, le cœur léger.

1 commentaire:

  1. Surf insomniaque erratique...

    Bon sang, est-ce le décalage horaire de 7 mois?
    Ou la solitude de la nuit vaguement consciente?
    Mais que tes mots résonnent!...

    Chez moi, c'est où?
    Le "chez moi" inné ou celui acquis?
    Par d'autres ou par moi-même?
    Je ne suis plus chez moi, ici, parce que c'est là bas.
    Même si là bas d'autres douteront toujours que j'y sois chez moi.
    Ici, certains doutent déjà...

    Qui choisit où? où choisit-il?
    Chez moi de toutes façons, c'est ici, là bas, ailleurs...
    Je suis de la mer et du vent,
    qui me guident, me posent, me jettent sur ma Terre.
    Je veux être partout chez moi...
    Et surtout, je veux que tu sois partout chez toi...

    Merci Véronique
    bises

    Laurent

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