La nature des hommes

dimanche 15 mars 2009

Les bruits de la victoire... (dernier jour de grève générale)

J’ai le sommeil léger. Un rêve m’a réveillée en posant des reflets argentés sur mon corps. Muscles endoloris, cheville gauche sensible. Les traces d’hier sont perceptibles, prolongent ce qui fut. Yeux ouverts dans le silence de mon morne, j’écoute revenir à moi le dernier jour du monde.

Depuis le matin, chevauchant Fodfwans, nous chantons. Nou ka maché anlè santiman nou ! A la préfecture, signant le papier, nous chantons. Sé pou la viktwa nou ka alé ! Dans les bars, nous chantons. Matinik lévé ! Heure après heure, nous chantons. Quand le soleil décline, les premières étoiles nous trouvent là à chanter. Nous chantons une victoire qui n'est qu'une idée : les 38 jours de congés maladie générale ne sont pas suffisants. Demain, le pays toussera encore, ravalera ses crachats et ira donner son argent et sa force aux Yo. Les voix sont éraillées, nous chantons. Par terre : des cartons improvisés toiles, à-plat de sentiments mis en couleurs, des gouaches, des enfants à genoux, des hommes debout, armés de bombes de peinture. Les maux sont de l'art brut. Sur un carton, un homme trace des traits en noir. Son corps fait écran, barre le carton, rompt les verticales que sa main a levées. Il regarde ailleurs et son regard me fascine. Où est-il l’artiste quand il est en train de créer ?

J’ai envie d’aller chercher le peintre là où il s'est chapé. Fessée à terre, au milieu des autres, parmi les toiles-cartons, je bascule en arrière. Je descends dans la caverne, là où l’en-dehors change de forme et disparaît. Place à l’invisible. Mais ce soir, je descends et dedans moi, l’en-dehors occupe toute la place. J’entends une fanfare aussi clairement que si j’étais fanfare. La joie se fracasse sur les tambours à grands coups de baguettes. Dans leur incessant va-et-vient, les baguettes plongent dans le ventre tambourin, récupèrent de la lumière, remontent en un éclair et projettent le trésor volé dans les airs. Dans chacun des éclats, je suis, nous sommes. Dans un éclair, à mon tour, je surgis de moi-même. Je marche à la baguette, bras levés. Je marche, je cours, je m’envole. A travers Foyal, voici que je, voici que nous. Nous, assis sur un tapis, fumant le narguilé, préparant du thé au basilic dans une théière marocaine. Nous, debout sur un podium slamant nos trippes, rimant nos esprits. Nous, battant tambour, appelant les répondè. Nous, sinobol, pistache, bière lorraine, bokit et frites. Nous, traînant la rue, souriant aux uns, tchekant les autres. Nous, au flambeau. Nous, si haut ! Nous, projetés par des trompettes haïtiennes. Nous, sans rôle à jouer ; plantés dans chaque je, nous. Et nous marchons, nous courrons, nous nous envolons, possédés par une certaine idée de la Victoire.

J’ai mal aux pieds, ma cheville pleurniche. Mon coeur rigole. La fanfare me ramène place des peintres. J’ôte mes souliers et reprends un sizé entre les cartons. Le peintre a abandonné son tableau aux regards. Les traits noirs sont les dents d’un caddie. Un caddie. Deux caddies. Trois caddies. Nouvelles bêtes noires d’un monde voulu.

J'ai trop souri, ce samedi 14 mars, pour pouvoir oublier hier et pleurer demain qui vient. J'ai trop chanté pour pouvoir me rendormir. J'étire mes jambes. Hummmm. Délicieuse douleur qui fait revenir nos hiers. Je me lève et je dans e avec qui veut. Le noir répond présent, cavalier pour mon âme.

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