La nature des hommes

lundi 1 juin 2009

Le bon, la brute, le truand et la queue de cochon

J’entre dans la salle d’attente du Docteur Wènéné, rue Victor Hugo à Fort-de-France. Il est 14h30. J’ai rendez-vous à 15h. J’aime quand le temps mange dans ma main, comme ça. Je peux en faire ce que je veux. Dans les lieux d’attente, dans ces lieux où le temps regarde les màs passer, où les mouvements sont suspendus, j’espionne les gens, je devine leur vie… Chacune de ces parenthèses impose son nan-nan et oriente mon imaginaire. Si j’avais été dans un hall d’aéroport, d’un tranchant de regard, j’aurais fouillé les bagages pour deviner les ailleurs des gens ; dans la salle des pas perdus d’un tribunal, j’aurais imaginé les pourquoi de leurs actes non-manqués. Aujourd’hui, dans la salle d’attente du docteur Wènéné, je fantasme leurs maux.

Un Bon, une Brute et un Truand.
Voici 3 hommes au festin de mon vice. Ils sont assis en face de moi sans soupçonner qu’avant la visite officielle, ils passeront par le scalpel de mon œil.

Commençons par le premier.
Examen clinique :
Epaules dégoulinées, ventre mou, yeux baissés, corps en forme de clé de 8 au lendemain d'un pété péléen, la vieillardise faiblissant dans un jean bon marché moulant le vide.
Diagnostic :
Polyarthrite cadio-émotive de type 4.
Lui, c’est le Bon. Il a dû mal vivre le fait d’avoir été utilisé abusivement comme un outil pour des besoins extérieurs à son cœur. A tel point que son corps a fondu, a foutu le camps.
Son ventre est mou : trop de coups reçus de la tête de sa femme, laquelle ne lui a dit «Je t’aime» que le jour où il a lui a payé un 4x4. Le flottement de tissu au niveau de l’entre-jambe trahit un bout de fer également fondu. Pour analyser ce patient, il faut ausculter sa femme. Bien apprêtée, riant aussi fort qu’elle est grosse, elle a un défrisage ourlé sur la tête. Elle aime montrer combien elle a réussi avec sa belle maison sur le morne (construite par son Bon), ses 3 fils de 43, 44 et 45 ans, faits coup sur coup. Bein oui, il fallait vite se débarrasser de la queue du Bon. Une queue qu’elle a coupée en 2 avant de la plonger dans une histoire de salaison pour la faire cuire avec des ti-nains. Ce jour-là, elle avait décidé que «Man bon épi sa. J’ai assez donné! (En lui servant une dernière part de ti-nain-queue de cochon :) Savoure-le bien, parce qu'il n'y en aura pas d'autre. » Les 3 fils sont tous ingénieurs. Le dernier vit toujours chez sa manman, comme on dit. Chez sa manman… comme si le lakay n’appartenait pas aux hommes, encore moins aux pères. Makoumè, le vieux dernier ? Certainement. Mais on n’en parle pas : il est ingénieur !
C’est elle, la cause de ce mal au cœur qui a gangréné son sexe.
Rimèd razié :
Pas la peine de divorcer. La castratrice va faire des histoires. Sé kouri-chapé ki ni ! Sans demander son reste. De toutes façons, ce gars-là a déjà disparu de l’horizon familial et personne ne s’apercevra qu’il manque un homme aux repas dominicaux.

A qui le tour ? A celui-là.
Examen clinique :
Pantalon en lin blanc, dissimulant sa quarante-cinquaine à coup de Bigen, une chemise manches longues auréolée de sueur, un sourire faussement fragile, regard anbafey pour voir le type de femelle qu'il a en face de lui et chaussures pointues cirées dont le bout est écaillé.
Diagnostic :
Schizophrénie aliénante à tumeur maligne.
Avec les femmes, c’est là que la maladie devient délirante. Dans son lin blanc mensonger, ce Truand va vous dire qu’il voit le soleil dans vos yeux et vous appellera Mon-aimée pour faire genre d’une part, et de l’autre pour ne pas vous donner du Brigitte quand vous c’est Sandra. Il a besoin de rester jeune. Et donc virile. Et donc coqueur. Et donc il mate anbafey tout ce qui porte en son creux l’origine du monde. Donc, il me zieute par en-dessous.
Il confond être évolué et être assimilé. D’où ces manches longues alors que l’on sait tous pertinemment qu’en mai, hormis dans les bureaux, il fait 31° à Fort-de-France. D’où ces chaussures écaillées car inadaptées aux trottoirs troués de son Gros-Morne. Lui, c’est «Paris !», qu’il voit, même si, pour rien au monde, il ne quitterait l’île, trop content de s’arrêter tous les midis chez sa manman pour manger son ti-nain accompagné de 17 queues de cochon.
Rimèd razié :
Mettre son coq dans un plastique noir et le lâcher sur la Rocade à 16h30, boire des décoctions de feuilles pendant 7 ans les soirs de pleine lune et sacrifier sa mère pour faire sortir l’imposteur de son corps.

Vous pouvez vous rhabiller.
Au suivant ! Prenez place, tirez la langue et faites Aaaaaaaa…. Le monsieur tire la langue.
Examen clinique :
L’homme sort un AAH guttural, rauque, brutal avant de refermer sec sa gueule sur le bâtonnet. Sa langue est épaisse. Il lui manque les dents du fond et 1 canine devant. Son palais est carré. Il a toujours ses amygdales.
C’est la Brute.
Diagnostic :
Rustrithe avancée en plaques soubarouïsantes.
Sa parole, comme son AAH est blip, directe. Pas de double femme dans son placard, il a déjà sa cocotte dans son lit et dans sa cuisine. Tant que son ventre comme son sexe sont toujours bien bandés, pas besoin de se compliquer la vie. Ce n’est pas un chien méchant, il ne mord pas comme l’atteste la perte de ses molaires et de sa canine.
Son palais carré est fonctionnel. II n’en sort que très peu de mots. Sa langue épaisse sert de tapis à des bondamanman de la pire espèce. Dans cette antre buccale, Missié La Brute fait entrer du rhum par fûts entiers, des plâtrées de ti-nains à la queue de cochon entière et très peu d’humeurs féminines. Une bouche, c’est fait pour manger mais pas nempotki ba’ay ki ka fè miaou. Le soleil, il ne le voit pas dans les yeux d’une madigwane. Il le voit uniquement dans le ciel ou, à la rigueur, dans l’eau.
La présence de ses amygdales atteste d’une grande douceur, mais celles-ci sont enfouies, cachées loin au fond de sa gorge, au fin fond de son enfance.
Rimèd-razié :
Une tenaille pour faire sortir de force les amygdales et les placer près de son cœur. Un stage de 7 mois chez « Lesbian Inc. » ne serait pas superflu pour le détourner des chemins blogodo et mettre un titak de fantaisie sur le bout de sa langue.

Il est 15h10. La secrétaire du Docteur Wènéné me fait signe d’approcher. C'est à moi. Je me lève, sans précipitation : quand je serai étalée sur la table d'auscultation, à mon tour nue et piteuse, je perdrai ma hauteur. En tirant la langue, sûr que je pousserai un aaaaaah si ridicule que je prierai seulement pour que l’homme en blouse blanche ne voie que mes maux extérieurs.

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