La nature des hommes

mercredi 3 juin 2009

Peut-on poursuivre un public pour non-assistance à contrebasse en danger ?

Clarke était du signe de la foudre. Grand, rauque, musclé. Le genre de mec qui plait aux minettes. Ce qui les fascinait chez ce négro au sourire canaille, c’était ses mains, des paluches larges qui promettaient le ciel à bout d’index. Et c’est vrai que le ciel s’ouvrait dès que les doigts de Clarke commençaient à s’agiter.

Ce mardi soir, il avait tombé une grosse. Un modèle de contrebasse qui balançait son large cul sur la pointe d’un talon aiguille. Il lui parlait tout bas, au début. Milano (c’était un des petits noms qu’il lui donnait), t’étais avec qui hier soir ? La contrebasse souriait, répondait à côté. Milano, mi amore, t’étais où hier soir ? Elle continuait à raconter ce qu’il pensait être des salades. Penché sur elle, la tête enfouie dans la nuque de bois, Clarke se montra de plus en plus pressant. La contrebasse ne sentit pas monter l'orage. Elle souriait à gorge déployée, fredonnait des tralalas sous les doigts de l'homme qui écartait ses lignes en répétant inlassablement : Milano, dis-moi Milano... Milano, avoue... Un jeu érotique, pensait-elle. Même si ça faisait de plus en plus aïe-aïe-aïe aux entournures.

N’importe qui sous la torture avouerait n’importe quoi. La contrebasse, comme n’importe lequel d’entre nous. Clarke la tenait par le collet. A plusieurs reprises, elle manqua s’étrangler, cracha ses tripes, vomit son soul. Coups de cravache, gifles, slap sur la coucoune, sur la tête… tous les coups étaient permis. Clarke était possédé. Tu mens, Milano, tu mens ! Sous les coups répétés du musicien, la grosse a avoué. Tout. Ce qu’elle était comme ce qu’elle n’était pas. Ce qu’elle avait peut-être fait, ce qu’elle n’avait pour sûr jamais fait avec des types dont elle n’avait jamais vu les mains. Oui, j’étais avec Doudou N’Diaye Rose ! Et elle se mit à hurler comme si elle était un djembé. Elle avoua être une rock star et wouawouatta comme si Hendrix la chevauchait. Elle avoua même un fricotage avec Miles Davis la nuit dernière, mais elle ignorait, la pauvre, qu’il était mort bien avant la nuit dernière. Elle avoua tout, tout. Qu’elle était une salope d'origine andalouse, une bénie de Dieu, une fucking funky, une pote aux jambes courtes avec qui on prend l'ultime décollé, une jazzeuse des bas-fonds, une menace to society.

Que celui qui, en quête de vérité, n'a jamais su retenir ses chevaux de colère, jette la première pierre à Stanley Clarke ! Ils se sont tous levés et lui ont balancé des salves d’applaudissements. A Foyal, dans la salle de l‘Atrium, la foule était foudroyée.
Peut-on poursuivre un public pour non-assistance à contrebasse en danger ? La beauté peut-elle être révélée by any means necessary ?
Les basses de Marcus Miller et de Victor Wooten firent, d’urgence, conciliabule pour débattre de ces questions et, éventuellement, prendre des mesures siplinaires à l‘encontre de Clarke. Mais la fusion dégénéra vite en guérilla de la corde. Chaque basse avait sa théorique sur la question. C’était à celle qui aurait le dernier mot. Tac au tac, manche contre manche, l’une avait à peine finit sa phrase que l’autre embrayait. A la fin, ce n’était plus des phrases qui jouaient les coudes à coude, mais des mots. Free to free, Et slap que j’t’enlève le mot de la bouche. Après avoir épuisé le dico, les deux basses se slapèrent des syllabes en pleine gueule. Lopsy ! Ly !! Silly ! Putty !! What did he say ? Dans le fond, elles étaient d’accord. L’une disant d’une voix aigue ce que l’autre venait d’avancer d’une voix mâle.
Rendue muette, posée dans un coin dans sa douleur oubliée, Milano regardait l’orgueil dresser une basse contre une autre. Si cette contrebasse pouvait parler… elle sangloterait à coup sûr.

Au bout d'une minute et 49 secondes d’éternité, la basse de Marcus décida d’arrêter avec ça. Elle avait la gorge sèche et s’en serait bien jetée une douce dans le gosier. OK man ! conclut la basse victorieuse, je connais une coulisse où on peut s’rincer à l’oeil. La marcussienne répondit : Let’s go, lil’ Victa !
Entre-deux, ayant échappé à un procès qui aurait entaché sa réputation, Clarke s'était rapproché dare-dare d'une ex - I wanna play for you… - et la nénette alembic plate comme une excuse aux 4 cordes faciles était retombée dans ses bras. On est du même bord les gars ! Clarke en menait large. Miller et Wooten sourirent en bons lascars qu’ils étaient et qui auraient fait de même s’ils avaient su tomber une grosse. Et : one… two, one two… to the bass ! La foudre éclata. Sous une pluie d’argent, les 3 frères -maîtres des basses fréquences- se mirent à swinguer en se racontant des bêtises de bassistes.

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