La nature des hommes

lundi 11 mai 2009

Objets perdus.

J’écris une lettre. Je l’écris ouverte. Elle est personnelle mais je l’ouvre à tous. J’ai perdu quelque chose quelque part. Je ne sais pas où. J’ouvre ma lettre au cas où. Si quelqu’un, quelque part, trouve mes affaires là où elles m’ont perdue, il saura à qui les rapporter. Je vais essayer d’être précise dans ma description. Mais ce n’est pas évident d’être précis avec ses souvenirs.

C’est un sachet noir, type sac poubelle avec deux lanières oranges que l’on resserre.
Dedans : les bras de ma mère, mon regard étonné face à l’objectif, le creux du cou de ma mère. Elle me porte et ne semble pas peiner. Je dois être légère à son bras. Sur le photomaton, elle a un sourire lointain. Dans le sac, ma main qui caresse son cou.
Dedans : une papatte taille 1 mois. Je l’appelle papatte mais je crois que le nom exact c’est grenouillère. Blanche délavée, tellement usée d’avoir été tellement frottée pour effacer les traces de vomi. Dans le sac, il y a mon fils endormi dans sa papatte avec ses cheveux tout lisses, sa bouche mauve, sa peau brune comme un Indien d’Inde. Si vous trouvez le sachet, surtout refermez le vite. Refermez-le bien. Les odeurs pourraient s’envoler et l’air du dehors engouffré, abîmer mes affaires.

Dedans : mes attentes sereines ; mon temps à croire que le temps n’a pas de bout.
Dedans : mon arrogance, mes pilules du lendemain, le premier plus beau jour de ma vie et les pourquoi qui m’ont jetée là.
Dedans : Un certificat de décès ; « Attention ! Je compte jusqu’à 3 ! » ; un torchon sous lequel reposent tous mes matins à lever.
Dedans : mon passeport pour Miklon ; un nombre plus grand que 5 et qui dépasse 6 ; nègre, le mot enfilé sur une popotte blanche dont les cheveux poussent quand on tire dessus.
Dedans : ma Martinique rêvée, du nacre murmurant l'océan ; une promesse haïtienne et mes devoirs de maths faits en pleine nuit, pendant la pause, par mon père et ses collègues trieurs de courrier.
Dedans : Pikrone ! Cakrone !
Dedans : un boubou, mes pages blanches, une contre-plongée sur la face cachée de mon cœur ; quelques solutions à mes problèmes de surface ; Mike Brant ; «1… 2… je vais me fâcher !».
Dedans : le plan de ma maison en Dominique, ou en Ethiopie. Ou dans les bois. Je ne sais plus.

Dedans : «2 et demi…»

Quoi d’autre ? Quand on perd son sac, ce n’est jamais très grave à la seconde même l’on s’en rend compte. Les minutes passent et… Et merde ! Comme une onde de choc, revient en pleine tête, l’une après l’autre, chaque chose, très importante, perdue avec le sac.
Les yeux fouillant le sol, je fais le trajet à l’envers, je croise les doigts, je hante la rue des Morillons, je souhaite très fort que quelqu’un… Je refais le trajet à l’endroit. Je m’étais arrêtée où ?

Et merde ! Dans le sac : cette lettre. Cette lettre ouverte avec, au dos, le numéro du gars aux yeux savane que j’ai rencontré jeudi sur la plage de l’Anse Noire… Et merde ! Merde ! Merde !

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