La nature des hommes

lundi 9 mars 2009

Un bakoua qui s'envole... (33ème jour de grève générale)

Aujourd’hui, j’ai vu en ville une vie qui ressemblait à celle d’un jeudi matin ordinaire 11h.
(A cette heure de la journée, un peu en amont de la chaleur méridienne, les vieilles, les dames à talons, ceux qui ont tout leur ti-temps s’arrêtent à chaque étal, hésitent devant un tricot bon marché, entrent dans une boutique, en ressortent avec un sachet -ou deux ou pas- à la main. Sur le marché central, les marchandes voient des doudous partout. Gué-gué ! Coup de klaxon. Pousse-toi madame ! Mais la madame n’entend pas. Alors une injure fuse, une injonction à aller kokémanmanw. Des zailleurs, adossés à un mur rient kra-kra-kra. Une choupette en jupette à volants passe. Ils lui envoient des mots doux et jettent des yeux crus sur tous les autres culs jupés qui passent.)

Aujourd’hui, en ville, la vie était dans l’ordre de ces choses. Si ce n’était le gros serpent rouge qui ondulait depuis la Maison des Syndicats, je n’aurais pas vu que c’était jour de grève. De grève générale.

Le serpent remonte la Levée, contourne le Parc Floral, redescend sur le bodlanmè, longe la Savane et échoue devant la Préfecture. Ka maché anlè santiman-nou. Depuis 33 jours, il creuse la route, un peu plus maigre de jour en jour.
Les héleuses de doudou, sur le marché central, ne tournent plus la tête pour regarder passer les masses, comme aux premiers jours. Les zailleurs zaillent, les consommateurs consomment, les manifestants manifestent. Dans le paysage foyalais, ils sont devenus habitude.

Coup de vent. Un bakoua s’envole.

L’ici-dans s’enfuit une fois de plus. Cet ici-dissident qui serait un retour à l'autrement, à notrement, s’envole. Je le regarde rouler sur le bitume, traverser un caniveau. Une poubelle bloque sa course. Demain, la voirie s’occupera de son cas. Demain, la révolution tapie derrière les revendications ne sera plus qu’un tee-shirt rouge délavé, un sticker écorné au pare-brise d’une auto, une aigreur à la pointe de certains cœurs. Et, dans un an, la grande grève générale fera l’objet d’une rétrospective sur RFO.

J’arrache les voiles blanches qui poussent mes pensées au pire, et je respire. Je respire à grandes goulées pour m’imbiber tant que je peux du rouge, des chants, des discours militants qui font du pays-Martinique un rivage possible. Je ne vois plus la fumée grasse des poulets grillés. Je ne vois plus les marchandes, les cadavres de coco au pied des camions, les étals achalandés, je ne vois plus cette ville embouteillée comme un jeudi matin 11h. Je ne vois plus rien sinon moi-même, marchant à travers mon désir d'ici.
Devant la Télé Otonom Mawon, les caméras s’agitent. Il faut couvrir l’événement. Quels sujets ? Quel angle ? Quels invités ? Dans mon bas intérieur, je me demande : quel événement si le rouge n'est qu'un mirage ? Quel événement : les cuisses de poulet, le cul des filles en jupe, l'oeil des coqs sur le cul des filles en jupe ? Le corps du serpent qui rétrécit comme une jupe de fille ?

Ma caméra pend au bout de mon bras comme un sachet de courses vide.
Le chapeau de paille envolé danse au bord de mes yeux.
Et si je le filmais à l’envers du temps, pour lui éviter la benne, pour le voir quitter l’encoche de la poubelle, le voir s’extraire du caniveau avant de rouler au vent et s'envoler loin-ici, pollen de paille ensemenceur ? Allez, allons ! Peut-être qu’avec un peu de chance, je pourrais remonter le temps, retrouver le cortège à sa source… Vite ! Ce serait bête de rater l’image du siècle, la dernière : celle où le bakoua se posera sur une, puis deux, puis trois, puis plein de têtes… le moment où le bakoua recommencera à faire Histoire.

1 commentaire:

  1. ici Paris d'où la personne fomente un coup de plume pour faire taire les gueules. D'ici-dans Paris or donc, les signes de Man V font sens et boule de nerf. keskispassera après ? Quels rouges pour la lune ? Est-ce que les yeux des gos sans demain mais derrière seront-ils assez ouverts pour regarder en haut ?

    RépondreSupprimer